la Scandaleuse de Berlin, de Billy Wilder (1948) : marivaudage dans le Berlin du marché noir
Peut-on faire un film léger dans un décor authentique de ville détruite, tourner une histoire d'amour au lendemain d'un conflit dramatique sur les lieux même où il se déroula? Grâce au génie de Billy Wilder, la réponse est oui!
Allemagne, 1948. Dans les ruines toujours fumantes de Berlin, une délégation de députés américains se rend dans la zone américaine afin d'enquêter sur le bon moral des troupes qui occupent la ville. Parmi les délégués, Phoebe Probst (Jean Arthur), intraitable sur le règlement et le respect des lois. Elle s'aperçoit très vite que les soldats américains prennent du bon temps, font du marché noir... bref sont loin d'être exemplaires. Pour couronner le tout, le capitaine Pringle (John Lund) a une liaison avec une ancienne nazie notoire reconvertie en chanteuse de bouge, Erika von Schlutow (Marlène Dietrich). Pour s'éviter des problèmes, le capitaine feint de courtiser Phoebe afin qu'elle ne découvre pas sa liaison. Or, celle-ci, candide fille de l'Iowa, se prend tout de suite au jeu...
Billy Wilder, né autrichien et juif, arrive en Allemagne avec les troupes américaines en 1945. Il n'y retrouve aucun membre de sa famille, tous déportés. Après avoir tourné des images des camps de concentration pour la mémoire collective, il choisit de réaliser une comédie se déroulant à Berlin, alors totalement détruite. L'idée? faire passer son message de devoir de mémoire sur un mode humoristique. Ce sont ainsi les authentiques vues de la ville que la délégation, dont fait partie Phoebe Probst, voit lors de son survol de la ville. Le sujet du film, léger mais non empreint d'une authentique gravité, offre un contraste harmonieux avec les décors symbolisant la violence du conflit.
Quand est tourné la Scandaleuse de Berlin, il n'y a que trois ans que la guerre est finie. Pour la population allemande, c'est toujours une quête effrénée pour se nourrir et se chauffer. "Profitez de la guerre, avait dit un humoriste, la paix sera terrible". Afin d'avoir une mise en abîme saisissante, Wilder choisit, pour incarner Erika, la maîtresse de Pringle anciennement nazie, la plus célèbre des Allemandes, Marlène Dietrich. La star, anti-nazie notoire, qui n'avait jamais accepté de revenir dans son pays depuis 1933 et se dépensa sans compter pour l'effort de guerre américain, accepte pour des raisons, dit-on, purement financières. Le résultat n'en est pas moins exceptionnel : Marlène, somptueuse, chantant en fourreau scintillant de mille feux dans un cabaret délabré... Malicieuse, ironique, mordante et désabusée : Billy Wilder n'aurait jamais pu obtenir ce résultat avec une autre actrice. La naïveté de Phoebe, campée par une Jean Arthur au meilleur de sa forme, provinciale pas glamour pour un sous et totalement déconnectée des réalités d'une ville en ruine, offre un contraste savoureux avec le glamour inné de Marlène. John Lund, en capitaine aimant l'une, se retrouvant obligé de séduire l'autre, fait le job, et le fait bien. Mention spéciale à Milliard Mitchell, le colonel de la base américaine, colosse sec et blasé, très amusé par les réactions puritaines de Phoebe et son éveil à la sensualité et les hésitations de Pringle, naviguant bien malgré lui entre les deux femmes.
LA SCANDALEUSE DE BERLIN (A FOREIGN AFFAIR)
Paramount, 1948
Réalisation : Billy Wilder
Photographie : Charles B. Lang, Jr.
Distribution : Jean Arthur (Phoebe Probst), Marlène Dietrich (Erika von Schlutow), John Lund (Pringle), Milliard Mitchell (le colonel Plummer)
premier visionnage : Arte
Films de Billy : Certains l'aiment chaud, Sept ans de réflexion
Films avec Jean : l'Extravagant M. Deeds
Films avec Marlène : Coeurs brûlés, Agent X-27, Shanghai Express