Shanghai Express, de Josef von Sternberg (1932): Marlène, Marlène, Marlène
Curieusement, à l'exception de l'Ange bleu, je n'avais, jusqu'à présent, jamais pu admirer les oeuvres du tandem Sternberg-Dietrich (ou du trio Sternberg-Dietrich-Banton). La rétrospective Sternberg à la Cinémathèque de Paris m'en donne l'occasion, avec Shanghai Express. Le résultat? un film aux jeux de lumières éblouissants, une Marlène plus star que toutes les stars, un partenaire insipide, une Chine pittoresque recréée, un train comme seul lieu d'action, et une histoire, euh, très convenue.
Années 30. En pleine guerre civile chinoise, un train relie Pékin à Shanghai. À l'intérieur, un capitaine médecin britannique, un ancien général français (en français dans le texte), une vieille dame anglaise, un métis chinois mystérieux, un joueur compulsif, une lady chinoise... et une aventurière européenne nommée Shanghai Lily. Elle a bien connu, autrefois, le capitaine-médecin. Il l'appelle toujours Madeleine. Le train s'ébranle pour un voyage de trois jours.
Pour un film célébré par le public à sa sortie et adoré des exégèses du cinéma, on peut dire que l'histoire est franchement faiblarde. Un peu à l'image des scénarii que tournait Greta Garbo, unique rivale de Marlène Dietrich. Je ne vous fais pas un dessin, la fin de l'histoire, vous la devinez! Non, le miracle de Shanghai Express, c'est la présence lumineuse de la star féminine, mise en valeur comme jamais par son pygmalion. Noyée dans des jeux d'ombre et de lumière sans égal, belle à en mourir, la présence de Marlène est un miracle de cinéma, de glamour glamourissime, d'éblouissement intégral. Sa présence est une évidence: elle est née pour être une star à l'écran, et elle est une star, totale, dans Shanghai Express. On la voit respirer à travers la pellicule, dans des moments de grâce qui semblent infinis, à couper le souffle. Sternberg ne filme pas que sa silhouette, admirable, dans les costumes ahurissants signés du couturier de la Paramount, Travis Banton; il filme également ses mains, qu'elle a fort belles, et qui traduisent à elles seules les pensées de Shanghai Lily.
Ce que j'ai également beaucoup apprécié, c'est la présence trop rare d'Anna May Wong, l'autre rôle féminin. Dame chinoise que l'on devine de moeurs légères, à l'image de sa compagne de compartiment Shanghai Lily, grande beauté de l'époque, Anna May Wong fut une vedette très populaire des années 20 et 30, et la seule d'origine asiatique. Il n'y a que son personnage qui fasse le poids face à celui de Marlène. Et, et ce n'est pas la moindre des bonnes surprises de Sternberg, c'est par Hui Fei, le personnage d'Anna May Wong, que se dénoue l'intrigue. Peu de mots, peu de gestes, mais un rôle clé.
En comparaison, le premier rôle masculin, Clive Book, fait pâle figure. Transparent, falot, mis là comme ancien amour de Shanghai Lily, le capitaine existe car il faut bien montrer que l'aventurière a un petit coeur sensible et fidèle. C'est vrai aussi que les femmes dominantes s'entichent souvent d'hommes sans éclat. Pour le coup, c'est réussi! Avec un diction assez désagréable car trop poussive (on est en 1932, bon sang, les leading men savent désormais parler au micro!), un personnage qui se réveille après la bataille, c'est-à-dire après le geste fatale de Hui Fei, cet homme est le point faible de Shanghai Express (et de Shanghai Lily, vous l'avez deviné). Même les personnages secondaires sont davantage vivants, pittoresques, pleins de sel et de poivre.
Toutes les plus célèbres photographies de Marlène Dietrich viennent de Shanghai Express. Et ses costumes! Jamais on n'a vu une voyageuse aussi élégante dans un train. Des plumes, des robes dignes de Jeanne Lanvin, des voilettes, des gants, un manteau de rêve, et cet admirable tailleur en plumes de coq... mais où sont passés ces merveilles? Dernière chose: Marlène, francophile et francophone distinguée, parle plusieurs fois français dans Shanghai Express, notamment pour servir de truchement au général français. Sa voix est d'une pureté et d'une douceur incroyables: c'est du cristal qui sort de sa bouche.
SHANGHAI EXPRESS
Paramount, 1932
Réalisation: Josef von Sternberg
Photographie: Lee Garmes
Distribution: Marlène Dietrich (Madeleine dite Shanghai Lily), Clive Brook (le capitaine-médecin), Anna May Wong (Hui Fei), Warner Orland (M. Chang)
Premier visionnage: Cinémathèque
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