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Un certain cinéma
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2 octobre 2014

L'Extravagant M. Deeds, de Frank Capra (1936): l'angélisme à l'épreuve de la Grande dépression

L'Extravagant M. Deeds fait partie de ces comédies loufoques et absolument géniales qu'Hollywood produisit en masse, pendant les années 30, afin de distraire les classes laborieuses de la la situation économique catastrophique du pays. Aujourd'hui resté un classique, le film n'a rien perdu de son intérêt; et si la grande humanité de Capra frise parfois la naïveté, elle est d'une telle sincérité qu'on ne peut qu'être touché par elle, malgré qu'on en ait. Pour l'anecdote personnelle, ce film faisait partie du cycle "l'âge d'or de la comédie américaine", diffusé il y a bien une décennie lors du Cinéma de minuit.

la citadine et le rural

L'histoire, menée tambour battant avec un sens de l'ellipse remarquable, est la suivante: un riche banquier new-yorkais se tue en voiture lors d'un voyage en Italie. Longfellow Deeds (Gary Cooper), un grand garçon tout simple jouant du tuba et écrivant des poèmes pour des cartes postales, devient unique son héritier. Habitant dans la ville de Mandrake Falls, Vermont, les avocats et garde du corps de feu son oncle viennent le chercher afin de lui annoncer la bonne nouvelle: il hérite de 20 millions de dollars (pour avoir une idée: un dollar de 1960 équivaut à 53 dollars d'aujourd'hui). Deeds n'en paraît pas ému, et se prête de bonne grâce à la demande de ses nouveaux conseillers: partir pour New York. Son arrivée dans la grande ville ne se fait pas sans heurts: vu comme un gars simple et manipulable, des avocats véreux veulent éviter qu'il mette le nez dans la gestion des comptes - accablante - de son défunt oncle, quant toute la presse veut voir à quoi ressemble un Américain moyen ayant touché le jackpot. Une journaliste, Babe Bennett (Jean Arthur), arrive à se faire passer pour une âme perdue et recueille les confidences de Deeds. Tourné en ridicule par les intellectuels pour ses poèmes de cartes postales, par la presse pour son angélisme, et par les citadins pour sa curiosité bon enfant, Deeds comprend que Babe Bennett, qu'il aime sincèrement, s'est jouée de lui, tout comme ses avocats. Décidé à quitter la ville, il est pris à parti par un chômeur; Deeds se résout à distribuer sa fortune afin que chaque petit fermier, touché de plein fouet par la crise, ait une ferme et une vache. Ce qui n'est pas du goût de ses avocats, qui imaginent le faire passer pour fou, afin de récupérer ses biens.

se mettre dans la peau d'un nanti... pas simple pour Deeds

À le regarder aujourd'hui, l'Extravagant M. Deeds n'a rien perdu de son charme, mais n'aurait pu être tourné à une autre époque: Capra est un cinéaste de la Grande dépression. S'il utilise les codes en vigueur à l'époque (haute société, presse sans scrupules, bons sens des petites gens et rouerie des milieux mondains), il n'hésite pas à les pulvériser savamment, en jouant sur des oppositions très simples, mais qui parle à tous. Ainsi la simplicité de Deeds face aux calculs de ses avocats, sa sincérité face à l'amour feint de Babe, l'argent sans utilité vraie face à la pauvreté criante. Deeds, tout calme qu'il soit, n'hésite pas non plus à donner du coup de poing face à un plumitif qu'il admirait, avant de découvrir sa triste personnalité lors d'un dîner. La distribution de la fortune de son héros montre, s'il en était besoin, la générosité de Capra, et sa sincère inquiétude face à la situation de millions de petits fermiers ruinés. La distribution de terre fait d'ailleurs penser à du collectivisme, ce qui, pour un film américain, ne manque pas de piquant. Cependant, mêmes les idées généreuses doivent être justifiées: d'où la scène du tribunal, où Deeds doit convaincre la loi que non, il n'est pas fou d'aider les gens en difficulté. Schéma classique du seul contre tous, tous les écueils en sont ici évités; d'abord grâce au talent de Gary Cooper, enfin par la démonstration - implacable - que chacun, dans son genre, peut être considéré comme fou. Un peu "piqué", selon le mot des adorables vieilles dames de Mandrake Falls venues témoignent au procès, Deeds représente l'Américain moyen comme Capra le rêve: les pieds sur terre, pas intéressé par l'argent mais sachant comment faire le bien, méprisant les poseurs et préférant le bon sens terrien, et rêvant au grand amour sans en rougir. D'ailleurs, Longfellow est le nom d'un très célèbre poète américain: Deeds a ainsi bien le droit de rêver.

affiche Extravagant M. Deeds

L'EXTRAVAGANT M. DEEDS (MR. DEEDS GOES TO TOWN)

Columbia, 1936

Réalisateur: Frank Capra

Photographie: Joseph Walker

Distribution: Gary Cooper (Longfellow Deeds), Jean Arthur (Babe Bennett), George Bancroft (Mac Wade), Lionel Stander (Cornie Cobb), Douglass Dumbrille (John Cedar), Raymond Walburn (Walter), H.B. Warner (le juge May)

Premier visionnage: Cinéma de minuit

Films de Frank: Arsenic et vieilles dentelles, Grande dame d'un jour, Bessie à Broadway, New York-Miami

Films avec Gary: Sérénade à trois, Coeurs brûlés

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Commentaires
R
Dans notre situation de crise, voir ce film doit faire du bien.
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G
Capra, ça rend heureux!
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