L'habit ne fait pas forcément le moine, et les coeurs d'or se trouvent dans des lieux inattendus. Avec Frank Capra et Grande dame d'un jour, un truand en habit reste un mal embouché, une clocharde transformée en lady en devient une, et un gansgter supersticieux peut, à son corps défendant, faire en sorte que les mensonges bienveillants deviennent réalité.
À l'origine, il y a Annie la Pomme (May Robson), une clocharde vendant des pommes sur les avenues new-yorkaises lors de la Grande dépression; un gangster prospère, Dave le Dandy (Warren Williams), qui fricote avec le monde des courses et du jeu, et croit dur comme fer que les pommes d'Annie lui portent chance; et un mensonge, celui qu'Annie écrit à sa fille Louise (Jean Parker), éduquée loin d'elle, en Espagne: elle, Annie la Pomme, appartient à la meilleure société et s'appelle Mme E. Worthington Manville.
Annie vole, avec la complicité de son concierge, le papier à lettres d'un hôtel de luxe, le Marberry, où Mme E. Worthington Manville réside. Le jour où le concierge est renvoyé, Annie reçoit une lettre de sa fille: elle est en route pour New York avec son fiancé, Carlos (Barry Norton), et le père de celui-ci, le comte Romero (Walter Connolly); ils veulent la rencontrer avant que la noce soit célébrée. Annie, prise au piège de son propre mensonge, s'enferme dans son réduit et se saoûle. Ses amis clochards filent voir Dave le Dandy et lui demandent de louer une suite au Marberry pour Annie pendant le séjour de sa fille. Dave commence par refuser, mais dans le même temps, il est sur une grosse affaire de jockey (illégale, bien sûr); il veut mettre toutes les chances de son côté, et a besoin de son gri-gri, les pommes d'Annie. Contre toute attente, il emprunte la suite d'un pote au Marberry, tranforme Annie en dame de la haute société grâce à l'aide d'une amie chanteuse de night-club, Missouri Martin (Glenda Farrell), et lui trouve même le mari qu'elle s'est inventée en la personne du juge Blake (Guy Kibbee), un arnaqueur de billard bon teint à la langue fleurie. La mystification, faite pour l'amour d'une mère, peut commencer. Mais on ne change pas d'univers social si facilement: les journalistes mondains s'enquérant de Mme E. Worthington Manville l'apprennent à leurs dépens...
Il n'y a pas de mots pour décrire le bonheur que me procure ce film à chaque fois que je le regarde. Un régal absolu, une merveille d'optimisme et de sensibilité, avec une touche de sarcasme allouée par le mal nommé Happy McGuire (Ned Sparks), bras droit du Dandy. Des clochards et des gansgters s'entraidant pour aider Annie à maintenir son innocent mensonge, on ne voit cela qu'au cinéma, et ça fait du bien. Le clou du film dépasse tout ce qu'on peut imaginer, et c'est le Dandy, emmené chez le commissaire de police, qui lui demande : "Croyez-vous aux contes de fées?", pour essayer de justifier l'escamotage des trois reporters mondains. Le commissaire, le Maire et le Gouverneur y mettront du leur pour que Louise, jusqu'à son départ, ne soupçonne jamais la vérité et puisse épouser en toute sérénité son amoureux.
Et en bonus, pour toutes celles qui en ont assez de ne trouver que des tocards sur leur route, écoutez la chanson de Missouri: "Laissez-moi braquer mes feux/Sur un beau costaud bronzé/Je veux un Samson/Ah, ça c'était un homme/J'ai tâté du Casanova/C'était du sirop d'orgeat/J'ai dit Casa, barre-toi/Je veux un homme!"
GRANDE DAME D'UN JOUR (LADY FOR A DAY)
Columbia, 1933
Réalisation: Frank Capra, d'après une nouvelle de Damon Runyon
Photographie: Joseph Walker
Distribution: Warren Williams (Dave le Dandy), May Robson (Annie la Pomme), Guy Kibbee (le juge Blake), Glenda Farrell (Missouri Martin), Ned Sparks (Happy McGuire), Walter Connolly (le comte Romero), Jean Parker (Louise)
Films de Frank: Arsenic et vieilles dentelles, l'Extravagant M. Deeds, Bessie à Broadway, New York - Miami
Films avec Warren: Images de la vie
Films avec May: l'Impossible M. Bébé