En cas de malheur, de Claude Autant-Lara (1958): la France s'ennuie, le cinéma aussi
Le cinéma français des années 50, contrairement au cinéma américain, me reste étranger. Les scenarii, la façon de filmer, les sujets, tout y est déjà démodé. Même les jeunes personnages sont vieux. Sans doute, ainsi que nous l'avions évoqué pour la Peau douce ou Martine Carol, parce que la France de la IVe République fut vieille avant même d'avoir été jeune. Ce constat est éclatant dans le film qui nous occupe ici. En cas de malheur, malgré l'éblouissante beauté de Brigitte Bardot, est désespérant d'ennui.
Yvette Maubert (Brigitte Bardot), jeune blonde de vingt-deux ans, et son amie Noémie (Annick Allières, raccoleuses occasionnelles, braquent un bijoutier avec maladresse à l'aide d'un jouet d'enfant. Ayant blessé dans sa fuite une vieille dame, Yvette force la porte d'un avocat trouvé dans le bottin, Maître Gobillot (Jean Gabin). Ce dernier, après une hésitation, accepte de la défendre et, très vite, en fait sa maîtresse. Il l'installe somptueusement malgré l'existence d'une épouse, Viviane (Edwige Feuillère). Néanmoins, Yvette reste éprise d'un étudiant en médecine, Mazetti (Franco Interlenghi), Italien et fauché.
Que dire? malgré les dialogues solides et la direction sûre d'Autant-Lara, le film est désuet car son son sujet est dépassé. L'impression d'ensemble donne le sentiment d'un monde vieux, inintéressant, et n'évoquant aucune nostalgie. Jean Gabin, définitivement perdu pour le réalisme poétique, joue son rôle de patriarche monolithique, le moins intéressant de toute sa carrière. En Maître Gobillot, il intègre le rayon des antiquités. Mais quel homme installé des années 50 ne voulait croquer une nymphe comme BB, surtout si elle a besoin de lui? Edwige Feuillère, grande dame (comme on disait) du Théâtre et du cinéma, a toujours ce métier sûr, dans un rôle sans intérêt, celle de l'épouse trompée d'un avocat ayant pignon sur rue. Seul son talent inné lui permet de faire "vivre" cet emploi désolant. Et Brigitte Bardot? elle se tire au mieux d'un rôle de fille à la limite de la prostitution et écrit par un vieux bonhomme. On a toutes les peines du monde à croire à l'affection d'Yvette pour Maître Godillot; ses scène avec Marzetti éclaire davantage la pellicule. Un scenario non poussif mais bridé et une direction trop classique empêche la vedette de faire éclater sa liberté d'allure. Clouzot, deux ans plus tard, en tirera bien plus d'effets. J'ai remarqué également un clin d'oeil à Niagara: la tenue d'Yvette, sandales à bride, jupe noire fendue et veste-gilet ajustée, est la réplique de celle portée par Marilyn Monroe lorsqu'elle effectue la plus longue marche filmé au cinéma.
Pour conclure, si tout n'est pas à dédaigner dans la fameuse "qualité française" du cinéma de ces années-là, si tout n'est pas à dédaigner chez Autant-Lara (le Rouge et le noir ou Douce), force est de constater que cet En cas de malheur est terriblement daté, sans le côté joliment désuet qu'on redécouvre dans certaines oeuvres de ces années-là. Ajoutons que, tout comme son interprète féminine, Autant-Lara a mal fini à cause de ses opinions politiques, peu recommandables.
EN CAS DE MALHEUR
Raoul Lévy et Ray Ventura, 1958
Réalisation: Claude Autant-Lara, d'après un roman de Georges Simenon
Photographie: Jacques Natteau
Distribution: Jean Gabin (Maître Gobillot), Brigitte Bardot (Yvette Maubert), Edwige Feuillère (Viviane)
Films avec Bardot: le Mépris, la Vérité
Films avec Gabin: la Belle équipe, French Cancan