La Peau douce, de François Truffaut (1964): l'adultère dans la France du Général
La Peau douce est le film de François Truffaut que je préfère. Auparavant, ma préférence allait au Dernier métro, que j'avais vu et revu jusqu'à en savoir les dialogues par coeur. Quand j'ai découvert la Peau douce, qui fut réalisé près de vingt ans auparavant, je l'ai immédiatement apprécié. Là où le Dernier métro est un film très maîtrisé, très calibré pour le grand public et dont la trame est parfaitement identifiable - ce qui n'enlève rien à sa valeur, loin de là -, la Peau douce est remarquable de finesse et de sobriété, tout en étant remarquable pour son époque. C'est vraiment un film de la Nouvelle Vague, mais sans la prétention qu'affichent généralement les principales oeuvres de ce courant.
C'est l'histoire de Pierre Lachenay (Jean Desailly), homme d'une petite quarantaine d'années, marié à Franca (Nelly Benedetti), une Italienne, dont il a une fille, Sabine (Sabine Haudepin). Conférencier spécialiste d'Honoré de Balzac et directeur de revue littéraire, il est ce bourgeois cultivé bien tranquille habitant dans le XVIe arrondissement parisien, représentatif des Trente Glorieuses. Lors d'une escale à Lisbonne pour voyage d'affaires, il rencontre une hôtesse de l'air, Nicole (Françoise Dorléac), âgée d'environ 25 ans, indépendante et libre comme pouvait l'être la jeunesse sous Mongénéral. Après un dîner, une liaison naît entre eux. Si aimer un homme, même marié, est naturel pour Nicole, Pierre, lui, doit faire face à ses propres préjugés, et prend de grandes précautions afin que personne ne devine sa liaison - ni ses collaborateurs, ni ses amis, ni bien sûr sa femme. Après une fin de semaine à Reims, où Pierre et Nicole restent en amoureux, le couple revient à Paris, et... Pierre ne sait que faire. Construire une nouvelle vie en détruisant l'ancienne? Ou rester dans cet entre-deux?
Ce qui est admirable, c'est l'économie de moyens avec laquelle est faite le film: un appartement existant, des décors naturels, une poignée d'acteurs, Paris désert (et Reims plus encore). Ce qui est admirable, c'est le personnage de Pierre Lachenay (idéalement incarné par Jean Desailly), un homme surpris par ses propres sentiments vis-à-vis d'une jeunesse, et prêt à divorcer pour vivre cette histoire - une situation presque irréel dans le début des années 60, où le divorce est encore très marginal. Mais plus encore, c'est le personne de Nicole, incarnant une jeunesse prête aux aventures mais ne voulant pas s'installer dans une vie de couple (et dans tout ce que cela implique); là encore, c'est extrêmement nouveau: une jeune femme vit naturellement ses amours, sans qu'aucun jugement ne soit porté par le cinéaste; enfin, et c'est peut-être la vraie surprise, elle refuse la vie de couple que lui propose Pierre, cette vie avec un homme divorcé et un enfant qui sera là tous les week-end, et préfère s'enfuir.
On a du mal à comprendre, rétrospectivement, pourquoi le film fut si mal accueilli à sa sortie: il est admirable de maîtrise, d'émotion contenu, de dialogues simples et beaux, et superbement porté par trois acteurs presque naturalistes. Peut-être est-ce le final qui déconcerta la critique et le public. En effet, le fin mot de l'aventure revient à Franca, qui y met un terme après l'avoir découverte. Et d'une façon que je ne peux dévoiler ici, par bienveillance pour ceux qui n'auraient pas vu cette belle Peau douce, et qui voudraient la découvrir.
LA PEAU DOUCE
Athos Films, 1964
Réalisation: François Truffaut
Photographie: Raoul Coutard
Avec: Jean Desailly (Pierre Lachenay), Françoise Dorléac (Nicole), Nelly Benedetti (Franca Lachenay)
Premier visionnage: Arte
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