la Belle équipe, de Julien Duvivier (1936): cinq compères gagnent le gros lot
Film symbole des années 30, du Front populaire et des lendemains qui chantent, la Belle équipe, chef-d'oeuvre de Julien Duvivier, est pourtant très difficile à voir. La raison? une guerre entre l'héritier Duvivier et un éditeur potentiel au sujet de la fin du film. Le cinéaste avait tourné une fin tragique; jugée trop négative, les producteurs exigèrent une autre fin, optimiste. Le film, exploité ainsi en 1936, n'a aucun succès. Et pendant soixante ans, Duvivier fils et éditeur se déchirèrent au sujet de la fin à choisir, rendant impossible toute exploitation du film. Je l'ai découvert en 2016 à la faveur d'un cycle Julien Duvivier, sur Arte. Avec la fin voulue par le réalisateur.
Cinq ouvriers parisiens au chômage, Jean (Jean Gabin), Charlot (Charles Vanel), Tintin (Raymond Aimos), Jacques (Charles Dorat) et Mario (Raphaël Médina), inséparables, gagnent le gros lot à la loterie. Fous de joie, chacun fait des projets sur l'utilisation de la somme, qui doit être partagée en cinq. Jean, qui est un peu le chef, propose, à l'occasion d'une promenade sur les berges de la Seine, d'acheter un vieux moulin abandonné, de le retaper et d'en faire une guinguette. Tous sont enthousiastes, mais l'équilibre du groupe se révèle fragile: Mario, réfugié espagnol, est menacé d'expulsion, Jacques s'éprend d'Huguette (Micheline Cheirel), la... fiancée de Mario, et Charlot est toujours attaché à son épouse qui l'a quitté, une brune croqueuse de diamants (Viviane Romance).
C'est toujours une grande joie de regarder un film de Duvivier: son métier, son aisance, sa direction, toujours très sûre, traversent ses différentes réalisations. La Belle équipe appartient aux oeuvres optimistes du mitant des années 30, dépeignant souvent le milieu ouvrier, rejoignant celles de Jean Renoir, de Marcel Carné, de René Clément. La fluidité du récit emmène, sans que l'on s'en rende compte, de la joie à la tragédie. Tel les Dix petits nègres d'Agatha Christie où tous meurent un par un, la "belle équipe" se désagrège. Un s'enfuit, un autre est expulsé, un troisième passe de vie à trépas... et les deux derniers se battent pour la même femme. Malgré ces vicissitudes, la guinguette ouvre. Jean Gabin y chante le fameux Quand on se promène au bord de l'eau, qui deviendra un des grand succès de l'époque. Et le drame aura lieu le jour de l'inauguration, inévitable.
La Belle équipe, c'est aussi l'occasion de voir une rimbambelle de comédiens et de comédiennes, premiers ou seconds rôles, venus du théâtre ou du cinéma muet, et qui poursuivront une belle carrière: Gabin bien sûr, mais aussi Charles Vanel (avec des cheveux noirs!), Viviane Romance, vamp du cinéma de l'époque, Raymond Aimos, abattu lors de la Libération de Paris dans la voiture qu'il partageait avec des FFI, Charles Dorat, qui se spécialisera dans les adaptations cinématographiques, Micheline Cheirel, silhouette familière des années 30, Charpin, inoubliable Panisse, ou encore Marcelle Géniat, gloire du muet. Seul Raphaël Médina a disparu des radars. Rejoignez cette Belle équipe, vous ne le regretterez pas.
LA BELLE ÉQUIPE
Arys Production, 1936
Réalisation: Julien Duvivier
Photographie: Jules Krüger et Marc Fossart
Distribution: Jean Gabin (Jean), Charles Vanel (Charlot), Viviane Romance (Gina), Charles Granval (le père Guilard), Charles Dorat (Jacques), Raphaël Médina (Mario), Robert Lynen (le frère de Tintin), Aimos (Tintin), Micheline Cheirel (Huguette), Marcelle Géniat (la grand-mère d'Huguette), Raymond Cordy (ivrogne), Jacques Baumer (le propriétaire), Charpin (le gendarme)
Premier visionnage: Arte
Films avec Jean: French cancan, En cas de malheur