Écrit sur du vent, de Douglas Sirk (1956): vingt ans avant, Dallas était déjà un univers impitoyable
Si je devais classer les films de Douglas Sirk que j'ai vus selon ma préférence, Écrit sur du vent ne tiendrait pas le haut du panier. Je préfère de loin Mirage de la vie, mon film ultime, et Tout ce que le ciel permet, l'une des plus belles histoires d'amour du cinéma. À l'occasion du recyclage de mes cassettes vidéos, j'ai eu l'envie de regarder à nouveau cet Écrit sur du vent, qui ne m'avait guère marquée. Bon, je l'ai aimé un peu mieux, mais pas beaucoup plus.
L'histoire, je soupçonne les scénaristes du futur feuilleton Dallas de s'en être inspiré (avec beaucoup moins de nuances et de subtilité, on est d'accord): deux jeunes gens héritiers d'une compagnie pétrolière au Texas, Kyle (Robert Stack) et Marylee (Dorothy Malone) Hadley, s'ennuient et comblent leur oisiveté en buvant plus que de raison; Mitch Wayne (Rock Hudson), élevé avec ces deux derniers et protecteur des bêtises de Kyle, veille sur lui avec attention, non sans une pointe de lassitude. À l'occasion d'un rendez-vous avec leur agence publicitaire de New York, les deux hommes rencontrent Lucy Moore (Lauren Bacall); tous deux s'en éprennent, et Lucy, sans qu'on sache bien pourquoi, choisit d'épouser Kyle. De retour à Hadley City, les secrets, les rivalités et les mesquineries se mettent en place entre ces quatre personnages, jusqu'à un coup de feu fatal.
Ainsi posé, effectivement, on se croirait dans Dallas; pour la première fois, Douglas Sirk met en scène la vie de riches nantis, trompant leur ennui par une fuite en avant inéluctable. Si le dessein est parfaitement bien mené, il est dommage qu'on ne sache pas pourquoi Kyle et Marylee s'adonnent à la boisson comme ça; leur père les regarder couler avec impuissance, mais sans tenter de les sauver non plus - il délègue ce rôle à Mitch. Marylee, qui est de loin le personnage féminin le plus fouillée du film, a un autre défaut, outre la boisson, pour les codes de l'époque: elle fréquente des hommes de passage. Cette liberté qu'elle s'octroie est rarement évoquée dans un film des années 50, et, pour signifier à quel point c'est mal, ce sont trois policiers et le fautif qui la ramène chez elle! Amoureuse de Mitch, elle imagine un stratagème pour l'avoir à tout prix - et, finalement, la scène finale montrera qu'elle a conservé du coeur.
Les deux hommes, Kyle et Mitch, sont construits en miroir. L'un, enfant gâté et peu sûr de lui, achète sa femme et sa tranquilité grâce à Mitch, qui a un dévouement total envers lui - enfin, plutôt envers son père. Après avoir pensé qu'il ne pouvait concevoir d'enfant, l'annonce de la grossesse de Lucy va le faire glisser dans la paranoïa: persuadé qu'elle l'a trompé pour être enceinte, il accuse Mitch d'en être responsable. Et, ce faisant, c'est son propre malaise d'enfant sans but qu'il met à nu. Mitch, lui, est le gars solide, sur lequel on peut s'appuyer. Sa protection rapprochée envers les deux enfants Hadley, et particulièrement envers Kyle, peut venir du fait que son père l'ait envoyé chez eux dès son plus jeune âge, afin d'avoir une belle situation plus tard. La fêlure se produit lorsque Mitch rencontre Lucy; il en tombe sincèrement amoureux mais, voyant que Kyle la courtise également, il lui laisse inexplicablement le champ libre. Repoussant gentiment Marylee, car il n'envisage pas de tromper son coeur, il se décide même à partir pour l'Iran, afin de laisser le couple - et ses soucis - loin de lui. Le père, Jasper Hadley, l'aime comme son fils. Peut-être l'invisible envie de Kyle envers Mitch vient-elle de là; ce qui est sûr, c'est que par sa nette préférence pour Mitch, le père Hadley n'a pas contribué à apaiser les angoisses de son fils - et de sa fille.
Les trois acteurs - Rock Hudson, Robert Stack et Dorothy Malone - portent le film d'une façon extraordinaire. Rock Hudson est merveilleusement employé chez Sirk. Mettant sa haute et belle stature au service d'un personnage protecteur et sensible, sans mot de trop et sans expressions déplacées, il est parfait, comme à son habitude. Robert Stack, que je ne connaissais pas, est du même bois: parfaitement à l'aise dans son rôle de fils de (très) bonne famille alcoolique et vain, il évite avec brio les effets de jeu qui pourraient être inévitables pour ce type de personnage, et joue sa partition d'une façon rentrée, sensible et admirable - en un mot, il est malheureux. Quant à Dorothy Malone, c'est elle la meilleure; d'une beauté inhabituelle qui saute aux yeux, d'une aisance et d'une crânerie remarquable dans un rôle pourtant peu valorisant. Sirk tire de son personnage de fille névrotique d'admirables effets (ce sera aussi le cas dans la Ronde de l'aube). Hollywood, pour une fois, ne s'y est pas trompé: elle remporte l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle en 1957.
Si je n'ai rien écrit de Lauren Bacall, c'est que, hélas, il n'y a rien à en dire. Curieusement, son personnage est le moins intéressant des trois, le plus effacé, alors qu'il est l'objet d'une rivalité inavouée entre deux hommes. Lauren Bacall n'est pas à sa place chez Sirk: sa voix grave et monocorde, sans nuance et sans intonation, son fameux regard éteint, sa raideur et sa rigidité, tout cela fait qu'on ne croit pas deux secondes qu'elle puisse être l'amour de ces deux hommes, et qu'ils puissent se battre pour elle. Elle est totalement mal à l'aise dans ce film, et cela se voit; même ses déplacements sont maladroits. C'est moche à dire, mais elle n'est pas non plus assez belle, assez fascinante; Dorothy Malone lui est mille fois supérieure sur ce point. Peut-être est-ce la maladie de son mari, Humphrey Bogart, qui la rend si peu concernée. Je ne peux m'empêcher de rêver à ce qu'aurait pu donner une Lana Turner ou une Jane Wyman dans ce rôle, qui n'ont pourtant jamais été créditées du talent que l'on prête à Lauren Bacall, mais dont Sirk a su tirer de merveilleux effets.
Un Sirk pas tout à fait parfait, donc, mais extrêmement plaisant à voir.
ÉCRIT SUR DU VENT (WRITTEN ON THE WIND)
Universal, 1956
Réalisateur: Douglas Sirk, d'après un roman de Robert Wilder
Photographie: Russell Metty
Distribution: Rock Hudson (Mitch Wayne), Lauren Bacall (Lucy Moore), Robert Stack (Kyle Hadley), Dorothy Malone (Marylee Hadley)
Premier visionnage: Cinéma de minuit
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