La Divorcée, de Robert Z. Leonard (1930): l'émancipation pré-Code tourne court!
Il y a quelques jours, j'ai découvert avec beaucoup de plaisir la Divorcée. Je voulais visionner ce film depuis longtemps car 1. je connais finalement très peu de films avec Norma Shearer à l'affiche, 2. c'est un film pré-Code, 3. Norma a reçu l'Oscar de la meilleure actrice, à une époque où il n''était pas nécessaire de disparaître sous une tonne de maquillage tendance transformiste pour l'obtenir. Film saisissant la légèreté d'une époque, je suis néanmoins restée sur ma faim quant à la conclusion. J'explique.
Au sein de la haute société, Jerry (Norma Shearer) se marie avec Ted (Chester Morris), flirt occasionnel qu'elle semble véritablement aimer. Au bout de trois années de mariage, Ted lui annonce un jour, par boutade, qu'il l'a trompée il y a quelques mois avec une certaine Janice (Mary Doran), mais que cela n'a aucune importance, puisque c'est elle qu'il aime. C'est ça ouais. Jerry, blessée à mort par cette confession, décide de rendre la monnaie de sa pièce à Ted: en sortant avec sa bande d'amis, elle a une liaison éphémère avec Don (Robert Montgomery), bel éphèbe célibataire appartenant à son cercle habituel. Le lendemain, Jerry avise Ted qu'ils sont désormais quittes. Et là, le Ted, d'une parfaite mauvaise foi, le prend très mal: il traite son épouse de traînée et part bouder dans la cuisine. Jerry lui rétorque qu'elle n'a fait que lui rendre la souffrance qu'il lui a causé et que, puisqui'il le prend comme ça, elle demandera le divorce. Ensuite, elle enchaîne les conquêtes, pour prouver au monde entier qu'elle est l'égale de son mari.
Avec un synopsis pareil, la Divorcée ne pouvait que me plaire. Pour mettre en scène une telle histoire au début des années 30, je m'attendais à un dynamitage en règle de la société patriarcale américaine et à une conclusion, disons, non amorale certes, mais ouverte sur l'avenir. Norma Shearer est éblouissante dans le rôle de Jerry: son visage, parfaitement mobile, exprime toutes les émotions sans effort, instinctivement; elle a une voix d'une douceur et d'une diction exquise, rappelant celle de Ruth Chatterton; son aisance à incarner ce rôle de belle émancipée est sidérante. Norma, on en redemande! La fantaisie et le rythme trépidant des années folles lui vont finalement mieux, à mon avis, que les rôles compassés d'épouses parfaites que la MGM (et son mari, Irving Thalberg, le numéro 2 du studio) lui fit endosser par la suite. Les acteurs masculins pâtissent presque de la lumière de l'actrice, à l'exception de Robert Montgomery, future vedette, dont la sensualité s'accorde parfaitement avec celle de Norma. Chester Morris, qui tient le rôle de ce goujat de Ted, est en revanche moins convaincant. Quant aux autres actrices, elle sont inexistantes.
Revenons sur la fin, justement, du film, qui m'a déçue. D'abord, elle sous-entend qu'une épouse n'aimera finalement qu'un seul homme, son mari, et, ensuite, elle rappelle celle de Femmes, tourné huit ans plus tard avec la même Norma Shearer, sur le même sujet. Une femme découvre que son mari la trompe; elle divorce, puis le mari (enfin, l'ex-mari) tente de la revoir pour se faire pardonner. L'épouse accourt vers lui, et pardonne. Voilà, c'est à peu près la fin de la Divorcée, avec des amants entre-temps. J'ai eu la désagréable impression que les scénaristes ont écrit une fin morale, faute d'avoir l'ambition d'aller plus loin dans leur propos. C'est dommage. La Divorcée, avec la qualité de sa narration, de sa mise en scène et de ses acteurs, méritait une fin moins convenue et, somme toute, peu croyable, que celle à laquelle on assiste. Nonobstant ce défaut, la Divorcée reste un film extraordinaire pour son époque, et qui, en matière de scènes conjugales, n'a pas vieilli.
LA DIVORCÉE (THE DIVORCEE)
MGM, 1930
Réalisation: Robert Z. Leonard, d'après le roman d'Ursula Parrott (Ex-wife)
Photographie: Norbert Brodine
Distribution: Norma Shearer (Jerry), Chester Morris (Ted), Conrad Nagel (Paul), Robert Montgomery (Don)
Premier visionnage: support DVD
Films de Robert Z. Leonard: la Courtisane, la Danseuse des Follies Ziegfeld