Toni, de Jean Renoir (1935): à Lavéra, les souvenirs d'enfance reconnaissants
La découverte du Toni de Jean Renoir eut pour moi une saveur toute particulière: j'y voyais le décor naturel dans lequel je grandis pendant trois années. Toni, je l'ai vu lors d'une séance de cinéma en plein air, au fort Saint-Jean, sis entre le MUCEM et la mer, à Marseille, à l'occasion de Marseille-Provence 2013, Capitale Européenne de la Culture. C'était en juillet dernier, il était environ 23h, et il faisait encore assez chaud. Dès les premières images, j'ai su que j'aimerai ce film: on y voyait un train de voyageurs traverser le canal de Caronte (qui relie la mer à l'étang de Berre) et s'arrêter en gare de Lavéra. Lavéra, c'est un village situé à côté de Martigues, en Provence, et qui est maintenant connu pour accueillir de nombreuses raffineries (BP à mon époque, Nafta, etc.). Mon père a commencé sa carrière comme ingérnieur chez BP; j'ai passé ma petite enfance dans ce village, au sein de ce qu'on appelait la cité BP (qui regroupait les cadres), je suis allée à la maternelle du village, jusqu'à ce que mon père soit muté dans une autre usine, à... Dunkerque. Même système, moins de cigales.
Voir dans un film de l'un des cinéastes français les plus renommés ces plans sur un endroit que personne ne connait, hormis les habitants de la Côte bleue, m'a fait plonger dans le passé, d'une manière profondément nostalgique. La gare, le pont de chemin de fer suspendu au-dessus du canal et construit par Eiffel, la descente de la gare de Lavéra vers la ville de Martigues: tout était déjà là dans les années 30, et rien n'avait changé dans les années 80. Même cette réflexion faite par un travailleur descendant de wagon : "ça sent le pétrole, et ça sent le boulot surtout". L'endroit, entre les raffineries et les carrières, faisait vivre quantité de gens, et attirait une grande main-d'oeuvre immigrée - sujet du film, entre autres.
Hormis ces considérations nostalgiques, qui m'ont bouleversée plus que je ne l'aurai cru, le film est un grand film. Sur un sujet très simple - un ouvrier espagnol, venu travailler dans les carrières, tombe amoureux d'une jeune femme et se charge d'un crime qu'elle a commis pour la sauver - Renoir fait une peinture réaliste, sobre et sans fioritures du milieu ouvrier. Le plus habile est que ce décor naturel, cette époque où les travailleurs immigrés descendaient par wagons entiers pour suppléer à la main-d'oeuvre qui manquait (conséquence de la Grande Guerre), ne sont que des arrières-plans; c'est d'abord de l'histoire de Toni dont il est question. Une histoire simple, avec peu de mots et un drame, filmé avec autant de maîtrise que de coeur, Toni est à l'image de la délicieuse scène de séduction entre la belle Josépha et le héros: il rend heureux.
TONI
Les Films d'aujourd'hui, 1935
Réalisateur: Jean Renoir, d'après Jacques Levert
Photographie: Claude Renoir
Distribution: Célia Montalvan (Josépha), Jenny Hélia (Marie), Charles Blavette (Toni)
Premier visionnage: en plein air, au Fort Saint-Jean
Films de Jean Renoir: French Cancan