La Banque Némo, de Marguerite Viel (1934): toute ressemblance avec l'affaire Stavinsky...
Il y a quelque temps, le Cinéma de minuit proposait un cycle intitulé "le monde des affaires au cinéma". Parmi les films proposés, la Banque Némo a retenu mon attention pour une raison simple: c'est l'un des rares films français de l'époque réalisé par une femme. Marguerite Viel, c'est son nom, réalisa quatre films, dont la Banque Némo. Ce fut son dernier film; on perd ensuite sa trace jusqu'à son décès dans les années 70. Je n'ai pas trouvé de biographie digne de ce nom de Marguerite Viel.
La Banque Némo, c'est un peu comme Vacances volées: une évocation bien transparente de l'affaire Stavinsky. On y voit Gustave Labrèche (Victor Boucher), un camelot, demander à un ancien camarade de régiment rencontré par hasard, Émile Larnoy (René Bergeron), une place dans la banque où il travaille. Entré comme garçon de bureau, Labrèche saura mettre à profit son bagou et les erreurs de Larnoy (ce dernier vole 10.000 francs pour acheter un manteau de ragondin à sa maîtresse, Charlotte) pour grimper les échelons de la banque, jusqu'à devenir... le directeur! Désormais tout-puissant à la banque Némo, Labrèche se lance dans des séries de placements fantaisistes dont il ne craint pas les conséquences, appuyé qu'il est par de hautes personnalités. Il est en cela aidé par... Charlotte (Mona Goya), qui séduit gentiment les récalcitrants sans pour autant leur accorder de privauté.
Il ne faut pas se laisser intimider par le côté "monde des affaires", qui pourrait paraître rébarbatif. La Banque Némo s'intéresse moins au système financement proprement dit qu'au personnage de Labrèche, sa faconde pour embobiner ceux dont il convoite les faveurs, ainsi que sa réussite au culot et, il faut bien le dire, à la limite du chantage. Arriviste, cabotin, bonimenteur, voire obséquieux, Labrèche fait la paire avec Charlotte, femme que l'on devine entretenue qui quitte Larmoy, parti en prison, pour son remplaçant - non par vénalité, mais par instinct de réussite. La galerie de personnages gravitant autour du couple est savoureuse: Mme Némo, qui tombe sous le charme de Labrèche (leur liaison est d'une drôlerie extraordinaire), M. Némo, qui se laisse embobiner comme un bleu, le secrétaire cauteleux... Les dialogues sont brillants, plein de sel et de poivre. La mise en scène est certes un peu théâtrale, elle n'en est pas moins excellente. Le rythme est vif, sans temps mort, les acteurs sont parfaitement à leur aise. C'est aussi l'occasion de revoir ces comédiens oubliés, Victor Boucher, Mona Goya (qui ressemble de manière étonnante à Carole Lombard), René Bergeron. Une chose m'a frappée: leur diction, absolument parfaite. C'est un délice à entendre.
Labrèche ne finit pas mal, contrairement à Stavinsky. La fin du film est, disons, pas vraiment morale. La conclusion revient à Larmoy: "Quand on vole un mouchoir, on voit envoie en prison; quand on dérobe 100 millions, le vol devient légitime." À méditer.
LA BANQUE NÉMO
Cinélux, 1934
Réalisation: Marguerite Viel, d'après la pièce de Louis Verneuil
Photographie: Henri Barreyre et André Thomas
Distribution: Victor Boucher (Gustave Labrèche), Mona Goya (Charlotte), Charles Fallot (M. Némo), Alice Tissot (Mme Némo), René Bergeron (Émile Larnoy).
Premier visionnage: Cinéma de minuit