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Un certain cinéma
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11 septembre 2014

Images de la vie, de John M. Stahl (1934): deux mères et leurs filles

À l'origine, il y a un roman de Fannie Hurst, Imitation of Life. Bien avant Douglas Sirk, qui en tira un mélodrame somptueux figurant pour toujours parmi mes cinq films fétiches, John M. Stahl adapte le roman de Hurst sous le titre Images de la vie. Sa version, la première, n'eut pas l'éclatante postérité de la seconde. Ce n'est pas une raison pour la négliger, au contraire. Stahl tourne son film en 1934, Sirk en 1959. En deux décennies coupées d'une guerre mondiale, l'histoire de ces deux mères, l'une blanche et l'autre noire, reste la même, que ce soit pendant la Grande Dépression ou lors des flamboyantes années 50: les mères veulent être parfaites pour leurs filles, les filles demandent tout sauf ce qu'elles veulent, et une jeune fille noire à la peau très claire ne sera jamais considérée comme blanche par la société ségragationniste américaine. On peut encore tourner Imitation of Life aujourd'hui.

Delilah et Bea, deux femmes qui s'entraident

C'est donc l'histoire de deux mères célibataires (enfin, veuves), Bea Pullman la blanche (Claudette Colbert) et Delilah Johson la noire (Louise Beavers). L'une rencontre l'autre par hasard, chez elle; débordée par sa fille Jessie et son travail (le colportage de sirop d'érable, hérité de son époux), Bea ne s'en sort pas. Delilah cherchait une place de bonne mais s'est trompée d'adresse. Pendant que Bea rattrape in extremis sa fille tombée dans la baignoire remplie d'eau, Delilah prend possession de la cuisine et prépare le petit déjeuner. Après une entente tacite, Delilah reste chez Bea pour tenir la maison et garder Jessie en échanger du gîte. Elle amène avec elle sa fille, Peola, presque aussi claire que Jessie. En se serrant les coudes, la chance sourit aux deux femmes: Delilah fait des pancakes extraordinaires; flairant une bonne opportunité d'arrêter le colportage, Bea loue, sans un sou en poche, un pas de porte sur la jetée d'Atlantic City. Elle le transforme en restaurant de pancake, et rapidement, l'affaire tourne. En cinq ans, Bea a remboursé tous ses crédits, mais la chance ne s'arrête pas là! Un client de passage, Elmer Smith (Ned Sparkles), lui suggère de commercialiser la recette de Delilah. Bingo: en dix ans, l'affaire prend une telle ampleur que Bea, Delilah et leurs filles emmènagent à New York dans un superbe hôtel particulier. Mais les rôles restent définis: Bea est la femme d'affaires, Delilah, malgré ses 40 % de parts dans la société, reste au sous-sol, et ne se mélange pas à la brillante société blanche que reçoit Mme Pullman.

Peola et Delilah, histoire d'une incompréhension

Moins que Jessie, dont les soucis d'adolescentes sont de peu d'intérêt (son rôle est d'ailleurs sacrifié), c'est Peola qui, par son refus pathologique d'être noire, appuie où ça fait mal. Bien que vivant dans la même maison, Peola n'a pas accès à la société que reçoit Bea; furieuse de cet état des choses, elle commence par se faire passer pour blanche à l'école, mais est découverte, puis, fuyant l'université pour gens de couleur où on l'envoie, travaille dans un bureau de tabac, là encore en se prétendant blanche. A chaque fois, elle se fait reprendre, et chaque fois, aucune solution ne peut être apportée à son mal être comme à sa rage. Cette colère sourde contre cette société qui, en dépit de sa peau claire, la considère comme noire, Peola ne peut l'apaiser. Le scenario ne lui apporte aucune réponse, non plus que son entourage; la séparation des gens blancs des gens de couleur est tellement acquise que rien ne semble l'ébranler. Seule la mort de la mère, qu'elle a dans un premier temps rejetée, semble "responsabiliser" Peola. Elle retourne aux études, mais rien ne dit qu'elle acceptera un destin d'Américaine noire. Sa fin est d'ailleurs escamotée: le plan final montre Bea et sa fille se remémorant les bons moments passés avec Delilah.

au bout de la route, Delilah perd sa fille, Bea son amour

Douglas Sirk a davantage creusé le désarroi de Peola (nommée Sarah Jane) et le manque d'attention dont souffre Jessie (Susie). Ici, ce qui intéresse John M. Stahl est moins les états d'âmes des filles que l'ascension de la mère blanche: Claudette Colbert est quasiment de tous les plans, et reste le personnage autour de qui tourne le film. Si Louise Beavers a un rôle significatif pour l'époque, il est subordonné à celui de Bea. Résignée, Delilah accepte sans révolte le rôle que la société lui a dévolue: le plus important pour elle est de vivre honorablement, afin d'arriver glorieuse et humble devant le Seigneur. Elle n'en reste pas moins un solide appui pour Bea, et sa mort, qui n'a pas les effets grandioses qu'en tirera Sirk, reste émouvante. L'amoureux de Bea, l'ichtiologiste Steven Archer (Warren William, impeccable), apporte une légèreté sérieuse qui est la bienvenue. Bien que surtout décoratif, son rôle permet d'introduire une touche masculine dans cette histoire très féminine. Il permet aussi d'affirmer que les femmes d'affaires, aussi puissantes soient-elles, ont le droit d'être aimé. Ce qui, en 1934, est un parti pris très moderne: une femme peut bâtir son empire et vivre ses amours avec la même réussite.

affiche Images de la vie

IMAGES DE LA VIE (IMITATION OF LIFE)

Universal, 1934

Réalisation: John M. Stahl, d'après le roman de Fannie Hurst

Photographie: Merritt B. Gerstad

Distribution: Claudette Colbert (Bea Pullman), Warren William (Steven Archer), Rochelle Hudson (Jessie Pullman), Ned Sparks (Elmer Smith), Louise Beavers (Delilah Johnson), Fredi Washington (Peola Johnson) 

Premier visionnage: support DVD

Film avec Claudette : New York - Miami

Films avec Warren: Grande dame d'un jour

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Commentaires
G
Merci pour cette découverte, je ne connais pas du tout cette version!
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C
Ca finit tout de même sur une note positive, contrairement à la version de Sirk, où l'on est submergé par les émotions. Mais c'est vrai que c'est un thème difficile, et en même temps toujours d'actualité...
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R
ça a l'air d'être un film avec un bon scénario mais pas très rigolo.
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