Chez les heureux du monde, d'après le roman du même nom d'Edith Wharton, fait parti de ces films dits classiques : bonne mise en scène, beaux costumes, beaux décors, bons comédiens, bonne intrigue. Oui, certes. Mais il y a plus, chez Terence Davies : une émotion impalpable, une mélancolie sourde qui, si on n'y prend pas garde, vous submerge. Chez les heureux du monde, c'est l'histoire tragique de Lily Bart, une femme qui cherche son destin.

New York, 1905. Lily Bart (Gillian Anderson), 29 ans, orpheline ruinée, cherche à faire un riche mariage bien qu'aimant un avocat sans fortune, Lawrence Selden (Eric Stoltz). Vivant chez sa tante Peniston avec un pécule modeste, Lily gravite autour des cercles brillants de la haute société new yorkaise. Trop honnête pour se vendre, trop libre pour garder sa réputation intacte, quelques-uns de ses choix mal à propos mettent peu à peu Lily au ban de la société. Lorsqu'une "amie", Bertha Dorset (Laura Linney), se sert de Lily pour cacher une liaison adultère, la jeune femme fait tous les frais du scandale. Sa tante, ne doutant pas de la véracité du récit de Bertha, déshérite sa nièce. Lily est en pleine perdition.

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Comment, même lorsqu'on est une femme née au XXe siècle, vivant au XXIe, ne pas être touchée, voire bouleversée, par le destin de Lily Bart? Élevée comme un bel ornement décoratif de la haute société, Lily n'a qu'une seule solution pour se maintenir dans le milieu social où elle vit et dont elle est issue : se marier. Or, par son honnêteté, son amour pur Selden, elle fait insconsiemment échouer toutes les tentatives de demandes en mariage qui lui sont faites. Pourquoi Selden ne l'épouse-t-il pas? parce qu'il ne peut la faire vivre - tout du moins, la maintenir au niveau de vie qu'elle a toujours connu. Lily fait avorter la demande de Percy Gryce, un jeune homme falot et maladivement timide ; rejette celle de Rosedale, un nouveau riche, qui cherche une femme ayant des connections avec la société qu'il veut conquérir ; se retrouve à jouer en bourse grâce aux conseils de son ami Gus Trenor, sans comprendre que la contrepartie est une liaison avec lui. Après le scandale Bertha, Lily, déshéritée, se retrouve à fréquenter des cercles plus marginaux (une amie divorcée, des nouveaux milliardiaires texans...) et à travailler. Elle se rend vite compte que, hors son milieu, et même dans son milieu, elle est absolument inutile. Elle qui aimait être vivante préfèrera désormais être morte. Et c'est toute la question du statut de la femme dans une certaine société qui est ainsi exposée.

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Difficile, après voir vu la version de Terence Davies, d'imaginer quelqu'un d'autre de Gillian Anderson dans le rôle de Lily Bart. Aussi rousse et laiteuse que son modèle de papier, jouant son rôle avec une remarquable économie de moyens, subtile et émouvante, tout en sobriété, Gillian Anderson est une Lily exceptionnelle. Les comédiens qui l'entourent sont à l'avenant : Dan Aykryod, Laura Linney, Eric Stoltz... Une galerie de talents réunis pour faire vivre une fresque décrite à tort comme romanesque. Non, l'histoire de Lily s'apparente presque à du romantisme : la fatalité la guette, rien n'arrive à enrayer sa chute. Préparez vos mouchoirs. 

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CHEZ LES HEUREUX DU MONDE (THE HOUSE OF MIRTH)

Three Rivers Productions/Granada Productions/Showtime, 2000

Réalisation : Terence Davies, d'après le roman d'Edith Wharton

Photographie : Remi Adafarasin

Distribution : Gillian Anderson (Lily Bart), Dan Aykroyd (Gus Trenor), Terry Kinney (George Dorset), Anthony LaPaglia (Simon Rosedale), Laura Linney (Bertha Dorset), Elizabeth McGovern (Carrie Fisher), Eric Stolz (Lawrence Selden)

Premier visionnage : cinéma le Coluche (Istres)