Elle et lui, de Leo McCarey (1939): rendez-vous à l'Empire State Building, sans King Kong
Elle et lui est un inusable film romanesque chéri des Américains, tant chéri que les héroïnes de Sex and the City regardent la version Cary Grant - Deborah Kerr un soir de réunion entre filles. Je vais évoquer ici la première version du film, également réalisée par Leo McCarey, dont les protagonistes sont Charles Boyer, deuxième Français à faire carrière à Hollywood après Maurice Chevalier, et Irene Dunne, leading lady des années 30.
Dans un monde qui n'existe plus, un homme et une femme se rencontrent lors d'une croisière transatlantique. Michel Marnay (Charles Boyer), don juan patenté, se rend à New York pour épouser sa richissime fiancée Lois. Terry McKay (Irene Dunne), chanteuse de cabaret sans avenir, doit retrouver dans la Grosse Pomme une connaissance qui l'épousera pour la sauver de son sort. Malgré les on-dit, les commérages et la promiscuité du paquebot, Michel et Terry tombent amoureux l'un de l'autre. Oisif, Michel ne peut épouser Terry - il n'a pas de fortune. Sans argent, Terry ne peut épouser un homme qui ne la ferait pas vivre. Pariant sur le destin, Terry propose à Michel de laisser passer six mois après leur arrivée à New York, afin que chacun se trouve une situation. Elle lui donne également rendez-vous en haut de l'Empire State Building (102éme étage, très précisément). Michel accepte, devient un peintre avec une certaine cote. Terry chante dans un cabaret. Les deux anciens fiancés sont oubliés. Le jour de la rencontre arrive, et là...
J'ai vu deux fois Elle et lui. La première fois, je trouvai le traitement de l'histoire plus fin que la seconde version, le jeu des acteurs plus nuancé. Lors du second visionnage, eh bien... j'ai peut-être changé, ou bien le romanesque ne me sied plus: j'ai trouvé l'ensemble plus démodé qu'intemporel. L'ensemble manque un peu de rythme - malgré que ce soit un mélodrame, le tempo y est un peu long. La religion est trop présente - la scène de l'oratoire à Madère est presque risible, les prêtres paternalistes sont agaçants. La peinture de Michel est d'un style pompier difficilement appréciable aujourd'hui. Enfin, on ne croit plus vraiment au côté Casanova qui tombe amoureux d'une femme lui résistant vaguement. Quid des acteurs?
Charles Boyer, avec son délicieux accent français, est tout à fait dans son personnage: léger, puis grave, libertin, puis responsable. Le voir en pantalon de peintre en bâtiment est absolument réjouissant! Quand à Irene Dunne, que j'adore dans Cette sacrée vérité, je l'ai trouvée moins, disons, naturelle en Terry McKay. Une certaine raideur dans son jeu la fait paraître plus froide qu'il n'y parait. Son aisance du rythme dans le film précédemment cité ne se retrouve pas ici. Elle reste une actrice de premier plan, silhouette élancée, visage net, gestes gracieux, mais elle ne parvient pas à m'émouvoir avant la scène finale des retrouvailles. En plus, les cheveux relevés, ça ne lui va pas. Je la préfère dans un autre mélodrame, terrible celui-ci, la Chanson du passé, où elle retrouve son partenaire de Cette sacrée vérité, un certain Cary Grant.
Finalement, ce sont les seconds rôles que j'ai préférés: Lee Bowman, dans le rôle du fiancé sacrifié de Terry, qui reste avec elle dans ses malheurs, puis s'efface avec une élégance sans équivalent; et Maria Ouspenskaya, actrice russe, membre fondateur du Théâtre d'art de Moscou, gloire de Broadway dans les années 20, et qui finit sa carrière en incarnant les grands-mères d'à peu près toute la galaxie hollywoodienne. Dans Elle et lui, elle est celle de Michel, un délicieuse petite veuve vivant retirée à Madère. On peut plaisamment ajouter que Boyer a un accent français, Ouspenskaya un accent russe, et Dunne... un accent distingué; oui, à cette époque, les actrices américaines n'avaient pas cet accent nasal de Donald Duck. C'est d'autant plus agréable à entendre. Bon film!
ELLE ET LUI (LOVE AFFAIR)
RKO, 1939
Réalisation: Leo McCarey
Photographie: Rudolph Maté
Distribution: Irene Dunne (Terry McKay), Charles Boyer (Michel Marnay), Maria Ouspenskaya (Janou), Lee Bowman (Kenneth Bradley)
Premier visionnage: support DVD
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