Nosferatu est l'une des toutes premières adaptations au cinéma du Dracula de Bram Stocker. Cependant, F.W. Murnau était un petit malin: ne voulant pas transcrire le roman au sens strict, il prétendit, à demi-mots, s'en être simplement inspiré. Ainsi, le comte vampire est rebaptisé Nosferatu; il devient un vecteur de la peste; et, notion capitale introduite par Murnau qui sera reprise par tous les futurs cinéastes du genre, et qui n'existait pas dans le roman original: les rayons du soleil tuent un vampire. Vous êtes prêt à être effrayé?
L'histoire se déroule en 1838. Un clerc de notaire, Thomas Hutter (Gustav von Wangenheim), est envoyé par son patron, un gnome qui ne semble pas très net, en Transylvanie: il doit proposer à la vente une usine désaffectée au comte Orlock (Max Schreck). En s'y rendant, il y croise animaux surnaturels et gens suspicieux, lui recommandant de ne voyager que de jour. Dans l'auberge où Hutter fait halte, il y trouve un livre sur la légende d'un vampire nommé Nosferatu; il en rit. Le lendemain, son cocher refuse de franchir le pont qui mène à la demeure du comte; Hutter s'y rend donc à pied. Et là, une fois le pont franchi, "les fantômes vinrent à sa rencontre".
Le plus beau et le plus poétique film fantastique que j'aie vu de mes jours, Nosferatu renferme en lui toute la poésie de Murnau, toute l'inventivité dont le cinéma muet faisait preuve, et toutes les angoisses d'une époque. Si l'histoire se déroule au XIXe siècle, c'est bien la République de Weimar qui est filmée, avec ses soubresauts, ses agitations et ses craintes. Le film est tourné en décors naturels: on y voit les villages allemands en 1920, et la Transylvanie à cette même époque: c'est le Moyen-Âge. Ce film est, en plus d'une histoire fantastique, un voyage dans le temps.
Le comte Orlock, ou Nosferatu, est joué par Max Schreck. Contrairement à ses futurs successeurs, notamment Bela Lugosi, portant beau et plastronné de blanc, Nosferatu est une longue créature chauve, aux oreilles pointues, presque cacochyme. Le voir surgir dans une pièce ou de son cercueil est absolument terrifiant: il porte en lui toutes les peurs du monde. Nosferatu tombe en arrêt devant le médaillon représentant l'épouse de Hutter, Ellen (Greta Schröder); il n'aura de cesse de la trouver et, pour cela, embarque clandestinement sur un navire; l'équipage sera décimé par la peste qu'il répand. La peste gagnera Wisborg jusqu'à ce que Ellen, qui a compris comment vaincre ce fléau et Nosferatu, se sacrifie. L'impression de peur que l'on ressent à la vision du film ne se dégage pas tout de suite. Au contraire, Murnau a réussi à créer un personnage et un visuel d'une telle force que ceux-ci sont encore présents à l'esprit bien après la fin de Nosferatu. Et l'on ne peut, à ce moment-là, que se réjouir qu'une décision de justice ne fût jamais appliquée: en effet, la veuve de Bram Stocker porta plainte contre Murnau pour plagiat; un tribunal allemand donna raison à la veuve, et exigea que toutes les copies de Nosferatu fussent détruites! Fort heureusement pour l'histoire du cinéma mondial, la décision ne fut jamais appliquée. Et l'on peut continuer à frissonner en regardant Max Schreck et ses griffes.
NOSFERATU LE VAMPIRE (NOSFERATU, EINE SYMPHONIE DES GRAUENS)
Prana Film, 1922
Réalisation: F.W. Murnau
Photographie: Fritz Arno Wagner
Distribution: Max Schrek (le comte Orlock), Gustav von Wangenheim (Hutter), Alexander Granach (Knock, le notaire), Greta Schröder (Ellen)
Premier visionnage: Ciné-Club France 2
Allez hop, je le rajoute sur ma liste, depuis le temps que Môsieur me bassine...
Merci pour la petite histoire, bien agréable à lire.