Les Soeurs Brontë, d'André Téchiné (1979): dans la lande sauvage erre une famille
À l'occasion de ma lecture, fort intéressante, du livre le Monde infernal de Branwell Brontë, de Daphné Du Maurier (éd. Phébus), je me suis ressouvenue du film d'André Téchiné. Vu il y a longtemps, interprété par une belle palette de vedettes (Adjani, Pisier, Huppert et Greggory), ce long-métrage a le mérite d'essayer de raconter l'histoire de cette incroyable sororie-fratrie britannique loin de toute légende. Avec le recul, il paraît aujourd'hui un peu daté, quoique cela n'enlève rien à son charme, et certains partis pris ne sont pas vraisemblables.
Téchiné démarre son histoire lorsque les enfants Brontë sont adolescents, voire jeunes adultes. Cela occulte de parler d'un événement fondateur dans la formation et la perception au réel des enfants: la mort, presque simultanée, de leurs deux soeurs aînées, Maria et Elizabeth. En pension, elles revinrent mourir au presbytère familial; ces deux décès foudroyants impressionnèrent grandement Branwell, situé dans la fratrie au numéro 4. Devenus adultes, le frère et les soeurs ne vécurent pas souvent ensemble au presbytère, mais s'y retrouvèrent fréquemment: Charlotte et Emily partirent en pensionnant, puis revinrent, Anne y alla à son tour, tandis que Branwell tentait de se faire un nom de peintre à Bradford; Charlotte et Anne se placèrent comme gouvernantes, Charlotte revint vite, Anne tint bon; Emily restait toujours à Hawford (le nom du presbytère), entre son père et leur tante, qui les avait élevés à la mort de leur mère; Branwell, après plusieurs échecs, sombra dans la boisson, la haine de soi et la schizophrénie, tandis que ses soeurs, à force d'archarnement, réussirent à faire publier d'abord un reueil de leurs poèmes, qui n'eut aucun succès (elles ne proposèrent pas à Branwell d'insérer les siens), puis leurs livres respectifs, Jane Eyre, les Hauts de Hurlevent, Agnès Grey. La suite appartient à la littérature: Branwell succombe, probablement à cause d'un excès de boisson et à une folie rampante, Emily le suit dans la tombe, trois mois plus tard. Anne meurt un ans après, Charlotte six ans plus tard. Le pasteur Brontë aura enterré tous ses enfants; le plus vieux des 6 avait 38 ans.
Il est difficile d'essayer d'imaginer et de rendre à l'écran cette vie d'austérité et de génie créatrice. Les quatre Brontë - car on ne saurait sous-estimer la place que tenait Branwell dans la famille, l'unique fils de la maison -, enfants précoces s'il en fut et doué d'une imagination foisonnante, admirable, toujours en éveil et nourrit à des sources aussi diverses que les sermons de leur père ou les récits gothiques des journaux de l'époque, ne sont pas aisé à individualiser. Tous les micro ou méga événements familiaux se répercurent inévitablement sur chacun d'eux. Le fillm a le mérite de la sobriété et de la mesure. Cependant, Adjani a un regard un peu trop exalté pour incarner Emily qui, si elle écrivit un livre et des poèmes qui, selon Charlotte, "chassent le sommeil de vos nuits et la paix de vos jours", était un personnage taciturne, évoluant dans son monde intérieur, assez sauvage, mais n'ayant rien d'une mystique de la lande. Anne Brontë (jouée par Huppert) est montrée effacé, transparente face aux trois autres, et suivant la route dictée par Branwell ou Charlotte; il est certain que, toute chétive qu'elle fût, elle ne manquait pas ni de caractère, ni d'affirmation: c'est elle qui trouva à son frère une place pour le sortir de son marasme intellectuel, elle encore qui écrivit le seul livre traitant du fléau qui empoisonna le presbytère: l'intempérance de Branwell, évoquée sans indulgence dans la Locataire de Wildfell Hall. Charlotte, l'aînée restante, la plus téméraire et la plus énergique, est assez bien vue et incarnée par Marie-France Pisier, quoiqu'on ne découvre rien de ses tourments intérieurs. Enfin, Branwell, un cas énigmatique. À l'évidence le plus doué des quatre survivants, il laissa mourir son talent, incapable de se trouver une situation ou de persévérer dans une voie, et finit sa vie sans un sou vaillant - tandis que ses soeurs avaient réussi à avoir un petit pécule, ce qui ajoutait encore à son humiliation. Pascal Greggory est presque trop mesuré dans son rôle. Il le porte néanmoins à merveille. On peut juste regretter que Téchiné ait adhéré à la thèse du renvoi de Branwell de son préceptorat suite à une liaison platonique avec la mère de son élève, Mrs. Robinson. Nous savons aujourd'hui qu'il n'en fût rien. Pour une raison que l'on ignore encore, Branwell mit le fils de la famille, Edmund, dans une situation qui révolta son père; ne pouvant avouer la véritable raison de son renvoi, Branwell donna le change en inventant une liaison payée de retour, auquel il finit par croire. La spirale du mensonge l'emprisonna ensuite, jusqu'à sa misérable fin.
Après avoir vu vivre et mourir ces êtres fascinants à tous points de vue, on n'a qu'une seule envie: se replonger dans leurs oeuvres. Jane Eyre reste ma préférée.
LES SOEURS BRONTË
Gaumont, 1979
Réalisation: André Téchiné
Photographie: Bruno Nuytten
Distribution: Isabelle Adjani (Emily Brontë), Marie-France Pisier (Charlotte Brontë), Isabelle Huppert (Anne Brontë), Pascal Greggory (Branwell Brontë)
Premier visionnage: Monte-Carlo TMC
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