Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Un certain cinéma
Pages
Archives
Newsletter
10 mars 2014

Les Désaxés, de John Huston (1960): le crépuscule du vieil Hollywood

"S'ils avaient su que Les Désaxés serait le dernier film avec, on devrait dire sur Marilyn Monroe, les critiques y auraient sans doute regardé à deux fois avant de le démolir": c'est ainsi que Frédéric Mitterrand, dans un ciné-club consacré à l'actrice en 2002, année des 40 ans de sa mort, introduisait un film dont le titre, la genèse et le tournage sont connus de tous, mais que peu de personnes ont réellement vu.

photo de groupe: Clift, Monroe, Gable, Huston, Miller, Wallach et le chef opérateur

Les Désaxés, c'est d'abord un plateau de rêve: Clark Gable, le Roi d'Hollywood; Marilyn Monroe, la plus grande star de son époque; Montgomery Clift, rescapé des adaptations filmées de Tennessee Williams et gueule fracassée; Eli Wallach, un abonné des rôles de cow-boy; et la géniale Thelma Ritter. Derrière la caméra, un vieux routier du cinéma qui s'est frotté à tous les types de film depuis ses débuts: John Huston. Enfin, au scénario, et ce n'est pas le moindre des détails: Arthur Miller, dramaturge encensé par les critiques depuis le succès de Mort d'un commis-voyageur (1949), et mari de Marilyn. Bref, un résumé de tous les talents produits par Hollywood depuis les années 1930.

L'intrigue écrite par Miller est tirée de l'une de ses propres nouvelles, écrite en 1956 lors d'un séjour de six semaines à Reno (fait dans le but de divorcer de sa première épouse), tiendrait sur une feuille de papier à cigarette: trois hommes du Nevada, qui se définissent encore comme des cow-boys, doivent désormais capturer des chevaux sauvages pour vivre, chevaux qui seront réduits en pâté pour chiens. La nouvelle, également appelée Les Désaxés (et dédié "à Clark Gable, qui ignorait la haine"), ne comporte aucune silhouette de femme, ou à peine une: celle de Roslyn, la première épouse de Gay, l'un des cow-boys, que l'on voit fugacement passer. Pour en faire un scénario, qu'il espère à la mesure du talent - et du prestige - de son épouse, Arthur Miller reprend ce personnage féminin à peine esquissé et le place au centre de l'intrigue - et du désir - des trois hommes.

le dernier roi d'Hollywood, dans son dernier rôle

Le résultat qui en découle, au visionnage, est "un film remarquable par ses manques", pour citer une nouvelle fois Frédéric Mitterrand. Un noir et blanc éblouissant de beauté, des décors de ville perdue, un désert de sel bouillant, des acteurs d'une photogénie rare... et un synopsis qui, malgré le talent de Miller et la direction d'Huston, est un vrai malentendu. Si l'on peut voir l'identité propre de chacun des trois cow-boys, le personnage féminin, celui de Roslyn, n'en a pas. Il passe comme une apparition, sans caractère ni force, donnant seulement sa beauté et sa compassion aux hommes. Roslyn est ténue comme un fil de la Vierge, et n'existe que dans le regard des trois hommes qui la désirent. Les mots et les attitudes prêtés à ce personnage féminin (le seul du film, car Thelma Ritter n'est là qu'en soutien, et n'a pas la prétention de rivaliser en glamour et en beauté avec la star féminine) laissent également une impression de malaise; quand Gay dit à Roslyn qu'il n'aime pas les femmes trop intelligentes, car elles ne respectent pas les hommes, Roslyn est flattée; quand une simple brique suffit à créer une marche devant la maison de Gay, Roslyn s'en amuse de façon puérile. Quand on sait qu'Arthur Miller a écrit le personnage en pensant à son épouse, on peut légitimer se demander comment il la voyait réellement. En regardant cette Roslyn désincarnée, sans opinion, sans avis, sans indépendance, sans réflexion, sans autre éclat que celui de sa lumineuse beauté, Arthur Miller n'a-t-il pas finalement créé sa femme rêvée? John Huston, s'il a parfaitement rendu ce personnage blonde intouchable à l'écran, a également attardé sa caméra de façon indécente, à deux reprises, sur les formes callipyges de Marilyn Monroe.

Monroe et Gable

Finalement, c'est moins le film lui-même que l'on retient (et qui eut très peu de succès à sa sortie en salles) que le tournage lui-même, les images qu'il en restent, et la fin brutale que connaîtront les deux premières têtes d'affiche. Pour le tournage, de nombreux livres s'en sont fait l'écho; il suffit juste de dire qu'il constitua le point de rupture du mariage entre Marilyn et Miller, et il sera extrêmenent pénible. Les images, c'est l'agence Magnum qui en eut l'exclusivité, et dépêcha des photographes de renom sur le plateau: Henri Cartier-Bresson, Eve Arnold, Bruce Davidson, Inge Morath (qui épouse Miller après le tournage). La fin brutale, ce fut d'abord celle de Clark Gable, qui décèda quelques jours après la fin du tournage, qui fut épuisant pour lui (il avait 60 ans), puis celle de Marilyn Monroe, dont ce fut le dernier film achevé, et qui disparut en août 1962, dans des circonstances jamais élucidées. 

Les Désaxés ont ainsi cette particularité d'être un film qui importe moins par ses qualités propres que par toute l'histoire qui s'attache à lui: celle du crépuscule de deux idoles, magnifiées par des images en noir et blanc d'une vérité à couper le souffle, et qui marque la fin d'un certain Hollywood.

affiche Désaxés

LES DÉSAXÉS (THE MISFITS)

United Artists, 1961

Réalisateur: John Huston, d'après un scénario d'Arthur Miller

Image: Russell Metty

Distribution: Clark Gable (Gay Langland), Marilyn Monroe (Roslyn Taber), Montgomery Clift (Perce Howland), Thelma Ritter (Isabelle Steers), Eli Wallach (Guido Delinni)

Premier visionnage: cassette louée

Films avec Marilyn: Certains l'aiment chaud, les hommes préfèrent les blondes, les Reines du music-hall, Arrêt d'autobus, Sept ans de réflexion

Films avec Clark: l'Esclave libre, la Courtisane, Fascination, la Belle de Saïgon, l'Appel de la forêt, Franc-jeu, New York - Miami, Autant en emporte le vent

Films avec Montgomery: l'Héritière

Publicité
Commentaires
Publicité